Les femmes, le Sport et la Grande Guerre

Michel Merckel, retraité de la fonction de professeur d’EPS (Éducation Physique et Sportive), et ayant développé un talent de « passeur d’Histoire » a écrit en 2012 : « 14-18 le sport sort des tranchées » des éditions Le Pas d’Oiseau. Il observe dans cet ouvrage la naissance du sport d’équipe à l’arrière des tranchées de la Grande Guerre. Aujourd’hui, il nous fait part de l’histoire des femmes sportives durant cette Grande Guerre.

Le mot « Sport » vient du vieux français desport qui signifie divertissement. Au travers des siècles, ce concept de jeu s’oppose dans les mentalités au statut de la femme cantonnée dans ses devoirs de mère, soumise au joug masculin, aux rites ancestraux et au dogmes religieux. De ce fait, la pratique sportive féminine est restée très confidentielle.

Les réalités au XIXe siècle

Si, dès 1880, la IIIe République encourage le pratique de la gymnastique féminine, c’est dans le but de permettre à la femme d’assumer au mieux son rôle de procréatrice. Pour le monde médical, « peu importe la force de la sportive, son organisme n’est pas fait pour supporter certains chocs ». Concrètement, le sport endommage l’appareil reproducteur. S’appuyant sur cette conviction du moment, Pierre de Coubertin précise quant à une éventuelle participation des femmes aux Jeux Olympiques : « Une olympiade femelle est impensable : elle est impraticable, inesthétique et incorrecte. » Si on reproche au sport de rendre les femmes stériles, on l’accuse aussi de les inciter à la débauche en exposant leurs corps sur les stades.

Les premières championnes

Malgré tout, on compte 22 femmes sur les 997 participants aux Jeux de 1900 à Paris. Issues majoritairement des milieux aisés, ces pionnières pratiquent souvent sous l’égide de leurs maris. Bénéficiant ainsi d’une certaine bienveillance, leurs champs d’activités restent très limités. En remportant le tournoi féminin de tennis, l’anglaise Charlotte Cooper est la première championne olympique. Gagnante de cette même épreuve aux Jeux de Stockholm en 1912, Marguerite Broquedis devient la première Française championne olympique. Notons que sur les 112 athlètes représentant la France à cette compétition, elle est la seule féminine.

La révolte des Midinettes

Pour une immense majorité de femmes, il est inenvisageable de pratiquer un sport mais… elles peuvent marcher ! Aussi leur organise-t-on des marches. Une est restée célèbre, celle des Midinettes qui va de la place de la Concorde à Nanterre. Disputée le 25 octobre 1903, cette épreuve est remportée par Jeanne Cheminel qui parcourt les 12 kms en 1h10. Au vu de la difficulté du parcours et de sa tenue, c’est un exploit, mais le doute n’est pas permis… Jeanne a couru. En effet, dès le départ de cette marche, les 2700 midinettes sont parties en courant. Impossible de les arrêter. Elles ont sonné la révolte !

Le tournant

Avec la Première Guerre mondiale commence un angoissant quotidien pour des millions de femmes. Elles vont traverser courageusement ces temps difficiles et prendre en charge les métiers et responsabilités traditionnellement dévolus aux hommes. Mais si les femmes remplacent les hommes dans le monde du travail, elles vont aussi aller sur les stades. Moins soumises au joug masculin et la chute de la natalité aidant, elles disposent de temps. C’est pendant cette période dramatique que le sport féminin impose sa propre dynamique.

Les premières manifestations sportives féminines

Le 2 mai 1915, le Club Académia organise, au Stade Brancion à Paris, la première réunion de l’athlétisme féminin français. Les 29 juin et 30 juillet 1917 se déroule le premier championnat de France d’athlétisme féminin au stade de la Porte de Brancion. Le journal L’Auto, ancêtre de L’Équipe, relate dans son édition du 2 octobre 1917 que « pour la première fois des jeunes filles ont joué au football ». En effet le 30 septembre 1917, le premier match de football féminin est disputé en France.

La Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France

Devant la multiplication des compétitions, le besoin d’organiser ce mouvement se fait sentir et le 18 janvier 1918 est créée la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France. Cette structure permet de mettre en place des actions d’envergure et de promouvoir efficacement la pratique du sport féminin. Le 28 avril 1918, quarante-deux concurrentes sont au départ du premier cross féminin français disputé dans le bois de Chaville. Le 29 septembre 1918, seule femme au milieu des hommes, Marie-Louise Ledru participe au marathon du Tour de Paris. 38e sur 78, avec un temps de 4h30, elle est la première femme à boucler cette distance. En mars 1919, un championnat de France de football féminin se met en place. C’est une première mondiale.

Alice Milliat

Derrière cet essor spectaculaire, il y a une femme déterminée et efficace, c’est Alice Milliat. Née à Nantes le 5 mai 1884, elle découvre le sport par l’aviron. En 1908 à la mort de son mari, elle décide de mettre son énergie au service des autres. Dotée d’une forte personnalité, institutrice de formation, polyglotte, elle est infatigable et ne cesse d’encourager les femmes à pratiquer toutes les formes de sport existantes.

Les 1ers Jeux Athlétiques Féminins

En 1919, Alice demande au CIO d’inclure des épreuves féminines dans l’épreuve reine des Jeux, l’athlétisme. Elle se heurte à l’antagonisme irréductible des dirigeants. En réponse, elle organise du 24 au 31 mars 1921, les 1ers Jeux Athlétiques Féminins à Monte-Carlo. 100 sportives représentantes de 5 pays répondent à l’appel. Sur la lancée de cette première mondiale, elle crée le 31 octobre la Fédération Sportive Féminine Internationale. Dix pays participent activement au premier congrès de cet organisme.

Les 1ers Jeux Olympiques féminins

Défiant le CIO, Alice Milliat ose organiser le 10 août 1922 au stade Pershing à Paris les 1ers Jeux Olympiques Féminins. Cinq pays et 77 athlètes sont présents. Onze épreuves d’athlétisme sont disputées et c’est devant 20000 spectateurs enthousiastes que la Française Lucie Bréard remporte le 1000m. Ces 1ers Jeux sont un succès salué par l’ensemble de la presse mondiale. Ce qui n’empêche pas un nouveau refus du CIO pour les JO de Paris en 1924. Imperturbable, Alice organise en 1926 à Göteborg en Suède les 2èmes JO Féminins. 9 nations et 100 athlètes sont présentes. Le retentissement est planétaire.

La reconnaissance olympique

Face à une telle détermination et devant les menaces que cette manifestation peut générer vis-à-vis du mouvement sportif mondial, les oppositions sectaires se changent en compromis. La reconnaissance olympique s’accomplit en 1928 aux Jeux d’Amsterdam où 21 nations déléguent 277 féminines. L’élan est donné, rien ne l’arrêtera.

Conclusion

Grâce à la détermination de personnalités d’exception, les femmes ont pris
conscience qu’en l’absence des hommes, elles étaient capables d’assumer leur indépendance et de vivre autrement. La Grande Guerre a été l’élément déclencheur qui a mis en évidence ce besoin d’équité et a créé les circonstances permettant la mise en place du sport féminin en France ainsi que l’ouverture des Jeux Olympiques à toutes les femmes du monde.


Alice Milliat est décédée dans un complet anonymat le 19 mai 1957 à Paris.

Michel Merckel